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Une société à l'épreuve de ses valeurs ? Analyse de la raison d'être

27.05.2025

Introduite par la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (“loi Pacte”), la raison d’être marque un tournant majeur dans la conception même de l’entreprise. En effet, de nouveaux enjeux sont pris en compte au-delà de la simple recherche de profit. Inscrite dans le cadre de la RSE (Responsabilité Sociétale/Sociale des Entreprises), la loi Pacte intègre de nouvelles notions en droit des affaires : “intérêt social” et “enjeux sociaux et environnementaux” à l’article 1833 du Code civil, “raison d’être” à l’article 1835 du Code civil et “société à mission” à l’article L. 210-10 et suivants du Code de commerce.

La raison d’être, c’est quoi ?

La mise en place d’une raison d’être est facultative pour les entreprises. 

Si les associés décident d’en préciser une, ils doivent alors l’inscrire dans les statuts

Le législateur ne définit pas le terme de “raison d’être” mais le groupe de travail ORSE - C3D (Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises - Collège des Directeurs du Développement Durable) en donne l’interprétation suivante : “La raison d’être est une expression de l’utilité sociétale de l’entreprise qui sera pour elle à la fois une boussole et un garde-fou quant aux décisions du conseil d’administration et du directoire”. La raison d’être ne se limite pas aux enjeux sociaux et environnementaux mais est bien plus large. 

Comment définir la raison d’être de votre entreprise ? 

Elaborer la raison d’être de son entreprise n’est pas simple, elle doit être dûment réfléchie et n’est pas un simple exercice de communication. Elle illustre les convictions et les ambitions de l’entreprise et reflète ses engagements vis-à-vis de nouveaux enjeux. Toutefois, sa mise en place requiert des moyens matériels et surtout humains (gouvernance, direction RSE, direction juridique…). Le processus dure généralement plusieurs mois. 

Selon l’ORSE et le C3D, la raison d’être doit être :

  • “Pertinente” par rapport à l’activité de l’entreprise et ses enjeux les plus significatifs ; 
  • “Ambitieuse” c’est-à-dire positive de tout point de vue pour l’entreprise, au delà de la création d’emplois par exemple ; 
  • “Structurante” dans le sens où elle constitue une ligne directrice dans les agissements ou les abstentions de l’entreprise ; et
  • “Impactante” c’est-à-dire que ses répercussions seront nombreuses et toucheront tous les pans de l’entreprise.

Il faut bien comprendre que la raison d’être n’est pas qu’un simple affichage des valeurs de l’entreprise mais implique des actes concrets a posteriori sur beaucoup de facettes de l’entreprise.  

Pourquoi pas vous ? 

De nombreuses entreprises françaises ont décidé d’adopter une raison d’être, notamment dans le secteur des banques et des assurances, de la grande distribution, de l’agro-alimentaire, de la mobilité, de l’industrie… Ce sont généralement des entreprises très importantes par leur taille et le nombre de salariés qu’elles représentent. 

A titre d’exemple, la raison d’être du Crédit Agricole s’intitule “Agir chaque jour dans l’intérêt de nos clients et de la société”. Les objectifs poursuivis par cette banque sont de s’illustrer comme le partenaire de confiance de ses clients et de traduire son utilité et sa proximité vis-à-vis des parties prenantes. Pour l’un des géants de la grande-distribution, Carrefour, la raison d’être consiste notamment à “proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers l’ensemble des canaux de distribution” et ambitionne “d’être leader de la transition alimentaire pour tous”. Alors, pourquoi pas vous ? 

Si votre société est déjà constituée, il convient préalablement de vérifier les règles légales et statutaires applicables à une modification des statuts consistant en l’intégration d’une raison d’être. 

L’ORSE et le C3D ont émis plusieurs recommandations dans l’établissement d’une raison d’être, notamment : “prendre toute la mesure du travail à accomplir lorsque l’on définit sa raison d’être”, “s’assurer d’un leadership fort”, notamment auprès du dirigeant, “conduire un chantier transverse aux différentes fonctions de l’entreprise”, “mener la démarche avec les salariés, “associer les parties prenantes avec méthode”, et bien sur faire vivre la raison d’être

Une fois la raison d’être définie, de nombreuses équipes de l’entreprise seront mobilisées pour y satisfaire. Il ne suffit pas d’afficher la raison d’être mais bel et bien de l’incarner par des actes concrets. 

La raison d’être, un tremplin vers la société à mission ? 

Pour certaines entreprises, la raison d’être n’est qu’une étape préparatoire avant de se prévaloir de la qualité de “société à mission”. Introduite par la loi Pacte, la qualité de société à mission est un outil permettant aux entreprises de formaliser et de crédibiliser plus encore leur démarche. La société déclare cette qualité au greffier du tribunal de commerce compétent. 

L’une des conditions pour se prévaloir de cette qualité est qu’une raison d’être soit effectivement précisée dans les statuts. Conformément à l’article L. 210-10 du Code de commerce, les statuts doivent également prévoir “un ou plusieursLa loi Pacte ajoute à l’article 1835 du Code civil, relatif à l’établissement et au contenu des statuts, les dispositions suivantes : “Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité.” (Article 1835 - Code civil - Légifrance).  que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité” et “les modalités du suivi de l’exécution de la mission”. Un comité de mission se charge du suivi de l’exécution de cette dernière et rend un rapport en ce sens. L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux fait également l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant, donnant lieu à un avis. 

Si l’avis conclut que les objectifs définis par la société ne sont pas respectés, la sanction consiste en la suppression de la mention “société à mission” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société.

Plus de 2.000 sociétés ont la qualité de société à mission à ce jour. 

A titre d’exemple, l’entreprise Danone a la qualité de société à mission depuis 2020. Sa raison d’être consiste à “Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre”

La raison d’être, démarche stratégique ? 

L’écriture d’une raison d’être incite à une réflexion de fond sur l’identité et la finalité de l’entreprise, en dehors d’une pure logique de création de richesses. Elle n’est pas qu’un simple slogan affiché par l’entreprise et se traduit par des engagements sur divers plans.

Les parties prenantes sont soucieuses d'interagir avec des entreprises qui tiennent compte de l’intérêt général, des enjeux sociaux et environnementaux… La raison d’être est un critère de différenciation entre les entreprises, certaines parties préfèreront collaborer avec l’une plutôt qu’avec l’autre. Elle reflète également une vision moderne et consciente des enjeux actuels vis-à-vis de la société. Que ce soit la raison d’être ou la qualité de société à mission, ces notions ont des conséquences sur l’économie et invitent à repenser l’image du système économique actuel.  

En interne, c’est le sens de l’entreprise qui est remis en cause par la définition d’une raison d’être ou la qualité de société à mission. Tous les acteurs seront concernés, peu importe qu’ils soient salariés ou membres de la gouvernance. 

En conclusion

Au-delà de son aspect purement juridique, la raison d’être s’inscrit dans une dynamique bien plus large de responsabilisation des entreprises. Elle illustre une vision nouvelle des entreprises, de leurs rôles non seulement dans l’économie mais aussi quant aux nouveaux enjeux. La loi Pacte a ainsi marqué une évolution significative du droit des sociétés vers une conception plus responsable de l’entreprise. Que ce soit la raison d’être ou la qualité de société à mission, elles constituent de véritables outils juridiques structurants, moteur des orientations stratégiques de l’entreprise, d’une gouvernance plus durable et d’engagements vis-à-vis des parties prenantes. Ils invitent à repenser la place de l’entreprise dans la société et à s’interroger sur une nouvelle forme de responsabilité des entreprises, plus durable. Toutefois, cet outil reste complexe à mettre en œuvre efficacement en raison des moyens qu’il exige. Lorsque la raison d’être est définie, beaucoup de travail reste encore à faire quant à sa mise en pratique. Il n’est pas qu’un simple élément de communication mais constitue une responsabilité concrète pour l’entreprise. Il est donc important de se faire accompagner par des professionnels dans l’adoption d’une raison d’être et ce, à la fois a priori et a posteriori. 

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